Hospitalité

Publié le par Jeanne TOMASINI

Ayant écrit cinq romans dans lesquels la Corse est toujours présente, il serait vain d'affirmer que j'aime le pays de mes origines, bien que je n'y sois pas née.

Fille de fonctionnaire, dans mon enfance et mon adolescence, j'ai pélégriné à travers la France, au gré des affectations de mon père. Mais, quand arrivaient les vacances scolaires, c'est en Corse que mes frères et moi  allions les passer auprès de nos grands parents : dans le Cap chez les paternels, en Castagniccia chez les maternels.

Mon mariage avec un Corse de l’Alta Rocca m'a conduite, ainsi que mes enfants, à partager nos congés entre un beau village de cette magnifique région montagneuse et une toute petite marine cap-corsine.

Dans chacune d'elles, nous avons eu la chance d'hériter d'une maison que nous avons tenu à conserver. Cela nous a permis de traverser, en quelques heures, la mer, de régaler ainsi nos yeux, jamais lassés, d'une diversité de paysages, de traverser des villes où nous retrouvons chaque fois avec le même plaisir, la modernité de celles du Continent, pour rejoindre nos deux villages qui eux recèlent toujours, nature et traditions immuables.

Mes enfants, mes petits-enfants et mes arrières petits-enfants ont ainsi fait connaissance avec leur "montagne dans la mer". Jamais blasés, jamais rassasiés, à chaque fois c'est, pour chacun d’entre nous, l'émerveillement. J'ai, au moins, réussi cela.

Au moment où j'écris ces lignes mon fils se trouve dans l'Alta Rocca, à Zerubia plus précisément. Il me téléphone qu'il a ouvert la maison, a chassé les araignées et les chauves-souris, a coupé les fougères qui avaient envahi nos tombes sous les châtaigniers. Il a fait ce qu'il devait faire, ce qu'on lui a enseigné de faire. Il perpétue l'héritage que les anciens lui ont légué.

Je vais moi-même partir pour le Cap, où bientôt me rejoindront tous ceux de ma famille, y compris les cousins et les alliés dont certains viendront de loin, de l'autre côté de l'Océan. Tous, nous nous préparons à accomplir ce pèlerinage annuel.

En tant qu'émigrés, voués à l'expatriation, nous sommes habitués à ce rythme. Français par fidélité, nous nous sentons corses par nos racines. Nous estimons que la tradition telle qu'elle nous est parvenue doit être maintenue, mais sans nous entraver. Dans un monde en marche, il faut aller de l'avant. L'immobilisme, l'inertie ne conduisent qu'à la mort.

A travers mes livres, je tente de faire connaître mon île et de la faire aimer par d'autres. Une envie de partager. Aussi, quand un lecteur me dit : votre roman m'a donné l'envie de découvrir ou de redécouvrir la Corse, je m'estime comblée.

Il est vrai que, exaltée par les uns, dénigrée par les autres, elle  gagnerait à être connue dans son authenticité, loin des clichés, des idées toutes faites, des préjugés tenaces.

Il est incontestable qu'il existe un peuple corse incompris des Continentaux, qui ne savent pas combien ce retour que nous effectuons périodiquement est si important pour nous ressourcer, pour affirmer notre appartenance et notre fidélité à un lieu.

J'écris sur le passé de mon île, intimement inscrit dans ma mémoire et dans mon coeur, mais c'est son avenir, en tant qu'ensemble physique et humain qui m'importe. Je déplore la lenteur de son développement économique. Je suis persuadée qu'il ne peut s'accomplir qu'en facilitant les échanges, en permettant aux personnes de circuler le plus facilement possible et à un coût moins élevé. Condition sine qua non pour que Corse et Continent se rapprocheront toujours un peu plus.

Je ne pense pas que les Corses, comme les autres îliens, souhaitent un « enfermement ». Ils ont un besoin vital de communiquer avec l'extérieur.

Je rêve d'une Corse riche d'emplois, ouverte sur le monde aux jeunes corses, afin qu'ils puissent voir ce qui se passe ailleurs, une Corse que les non Corses pourraient atteindre facilement, avec laquelle ils puissent tisser des liens durables.

Le sens de l'hospitalité, si fort chez les Corses, prendra alors tout son sens et toute sa valeur.

JTomasini

Publié dans Participantes

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D
Merci pour ce texte Jeanne, témoignage d'une îlienne "non figée" sur son île.
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